UNE PHOTO DE TOI, POR FAVOR ?
Des fois, on ne se soucie plus de savoir où on va. D'où on vient ? Alors on se dit qu'on a sa place sur un mur. Sur un mur, chez quelqu'un, quelque part. Une photo d'avant, chez ceux qui nous ont connu et qui ne nous ont pas oublié. D'aujourd'hui, pour ceux qui ne se souviennent pas de notre visage, ou qui ne nous ont jamais vu. Se représenter le passé. Se présenter là, ici, maintenant, à ceux qui auraient pu nous oublier. Souviens toi, je suis là. Souviens toi de mon absence. Souvenons nous de ces représntations, de ces souvenirs que nous n'avons pas en commun. Que chacun porte en lui, déforme, arrange, détruit, pour faciliter le passage de l'histoire, tenir les membres du groupe accrochés à une histoire construite de toutes pièces, parce qu'elle sert à la cohésion. Le passé composé, recomposé, une construction littéraire. Elle pouvait pas, tu vois. Alors elle est partie. Elle avait des cailloux dans le ventre quand elle voyait l'histoire se construire, je crois que ça lui faisait mal, alors elle est partie. Ce départ, c'est son empreinte. On se tourne vers le passé, le temps originel, le secret des origines, et on cherche à se libérer des maux actuels. Et une fois que notre photo est là, entre quatre autres, qu'on a sa place au mur, avec eux, nos frères, on se sent prêt à recommencer une autre vie, avec son cortège d'épreuves. Ne plus être un morceau détaché, visualiser, comprendre ce qui a été fait et décider de ce qui maitenant va pouvoir être fait.
Des photographies dans un salon. Dans sa chambre. Sous la télévision, à côté de ses fleurs. Lieux. Images. Souvenirs. Sons. Images. Objets. Comment tu t'appelles ? C'est toi, là? C'est ta soeur, là. Mémoire généalogique et familiale ou l'histoire d'une structuration personnelle. Un point de repère. Accroches toi à ton axe biographique. Serres le bien, tords lui le bras, n'oublies pas le début de l'histoire. Tu es née quand, déjà ? Calendrier partagé, une date de naissance écrite sur un bout de papier. Parce qu'il n'y a pas que le cerveau. Il y a ce bout de papier, ces photographies sans toi. Il y a ces histoires orales, ces récits, ces mythes, ce roman familial. Des photos qui meublent le salon. Des photos qui meublent le monde. A cette maison qui devient lieu de mémoire, une galerie vivante. A ce vin argentin bu ce soir là qui fait oublier les maux, la douleur et le ressentiment. Parce qu'oublier, c'est aussi perdre l'autre. Perdre contact avec ceux qui nous entourent. C'est parfois aussi abandonner l'autre. A ces lieux de mémoires quotidiens qui nous rappellent notre identité.